[FRENCH] En 1957, Steve Ditko, futur créateur (ou co-créateur) de Captain Atom, du second Blue Beetle, de Question, de Doctor Strange (ou encore d’un certain Spider-Man dont vous avez peut-être entendu parler) œuvrait chez Charlton Comics, principalement sur des anthologies touchant au Fantastique ou à la Science-Fiction. L’occasion pour l’auteur de faire feu de tout bois… et de lancer en quelques pages des idées bien moins éphémères qu’on pourrait le croire. 1c4723
Du scénariste et dessinateur Steve Ditko, le public garde le plus souvent l’image d’un « Howard Hughes » des comics, vivant reclus et ne voulant absolument pas (ou plutôt absolument plus, après quelques interviews données à des fanzines dans les sixties) se manifester auprès de ses lecteurs. L’image est un peu trompeuse et en tout cas forcément réductrice. Trompeuse parce que ce n’est pas parce que Ditko refuse toute intervention publique qu’il repousse pour autant toute interaction sociale. Réductrice car on en arrive à ce que j’appelle pour ma part le « syndrome de Van Gogh », c’est à dire que ce désir de discrétion en vient à tellement fasciner qu’il occulte parfois l’œuvre. Des articles ou même des ages massifs d’ouvrages dissertent donc à volonté du silence, de « l’absence » de Steve Ditko. Et c’est un peu comme certains livres sur la peinture qui vont s’attarder en longueur sur l’oreille coupée de Vincent Van Gogh, sur l’anecdote pittoresque plutôt que sur l’œuvre en elle-même. A l’heure ou beaucoup de gens courent après leur « quart d’heure de gloire », aussi bien à la télévision que sur Twitter, ce qui est perçu comme un refus d’ouvrir sa porte fascine, renforce le mystère.
A supposer qu’il y ait un mystère. En écrivant ces lignes je serais moi-même en train de sacrifier au même cérémonial « people » si ce n’était pour souligner un fait : Steve Ditko est quelqu’un de… normal. L’auteur est, tout simplement, quelqu’un qui a décidé de ne pas mélanger la sphère du privé avec celle, plus publique, des comics. Ce qu’il a toujours laissé filtrer, c’est qu’il préférait laisser parler l’œuvre d’elle-même. Peine perdue : une partie des biographes improvisés préfèrent s’égarer à la recherche d’éléments de son é. Ils ent, souvent, à côté de l’essentiel : Ce que Ditko lui-même a choisi de raconter. Et force est de constater que l’œuvre a des choses à dire…
En un sens Charlton se laissait plus emporter par l’allégorie que Marvel. Au point d’en perdre parfois le sens de la conclusion. Il s’agissait avant tout d’invoquer des images d’autant plus puissantes puisqu’irréelles. De ce fait, le dessinateur (que ce soit Ditko ou un de ses collègues) avait sans doute plus de marge pour évoquer des symboles. La chose est d’ailleurs assez manifeste sur la couverture d’Out of This World #6, qui représente un être lévitant dans un ensemble digne d’une toile de Dali. L’image semble transgresser toutes les règles en vigueur à l’époque chez Marvel ou DC. Le visage du personnage est caché, à l’opposé du lecteur. Il flotte les bras écartés, un peu comme le Christ de Saint Jean de la Croix (que Salvador Dali avait peint six ans plus tôt) vu sous un autre angle. Le décor, composé de cercles concentriques et d’une sorte de age pour piétons tapissé de textes évoque de manière prémonitoire ce qui sera plus tard le générique de la Twilight Zone.
A l’intérieur, la première page de « All Those Eyes » (« Tous ces yeux« ) donne lieu également à une atmosphère surréaliste du même tonneau. Un personnage aux allures de « petit vieux » est encerclé par des dizaines de globes oculaires qui flottent dans l’obscurité. Le vieillard s’inquiète : « Ils n’arrêtent pas de me regarder. Comment m’ont-ils trouvés? Comment m’ont-ils suivis ?« . L’homme est traversé par une crainte énorme… C’est qu’il n’a pas tout à fait la conscience tranquille.
Un commentaire nous explique qu’il s’agit en fait d’un espion « Et ce dont les espions ont le plus peur, c’est d’être découverts et arrêtés ! Il avait vécu ce terrible moment en boucle, dans ses cauchemars ! Un rêve horrible après l’autre il était obligé de se confronter aux yeux sans pitié de celui qui l’avait capturé ! Mais ceci n’était plus un rêve ! Ces yeux étaient réels !« . En 1957 le maccarthysme (apogée de la paranoïa anti-communiste aux USA) était retombé mais la Guerre Froide, elle, battait encore son plein. Les américains n’imaginaient plus qu’il y avait un espion rouge potentiel dans chaque block d’immeuble mais la crainte de l’URSS restait de mise. On ne procédait plus à une chasse aux sorcières aussi systématique mais identifier un personnage comme un espion restait encore le moyen le plus rapide et le plus dramatique de l’identifier comme un nuisible. Pas besoin de lui donner une origine ou une motivation propre. Un espion était forcément communiste et cette nature (que l’espion s’attaque aux USA ou au reste du « monde libre ») suffisait à décrire la noirceur de ses actes.
Ce soir-là l’espion e à l’action. Un des coups les plus importants de sa carrière. Mais alors qu’il est en train de voler de précieux documents dans un coffre fort, il est surpris par le maître de maison. L’homme aux mille visages s’en tire en frappant celui qui l’a dérange. Puis l’espion s’enfuit par la fenêtre, saute dans la rue et se change dans les ombres (le vol se déroulant la nuit, c’est d’autant plus facile). Il enfile un autre masque (celui du vieillard), retourne son manteau et troque son chapeau pour un béret. Quand le propriétaire des documents volés arrive à son tour dans la rue, il croît tomber sur un simple ant. Il lui demande alors s’il a vu quelqu’un sauter par la fenêtre. Le faux vieillard lui affirme que le voleur s’est enfuit par une rue particulière, éloignée de celle qu’il compte prendre réellement. Ne doutant pas de sa parole, le « pigeon » court dans la rue indiquée, poursuivant un voleur qu’il ne risque pas de rattraper puisqu’il vient de lui er devant sans le réaliser…
Le faux vieillard fait donc demi-tour avant d’avoir été vu. En parcourant les rues il remarque une maison entouré d’un mur. Il décide alors d’y dissimuler les documents ou bien de s’y cacher lui-même en attendant la fin des barrages. Il saute donc par dessus le mur. Mais la fuite est venue à bout des ressources physiques de notre espion. Il est épuisé. Apercevant une petite cabane dans le jardin, il s’y introduit pour se reposer. Il est tellement fatigué qu’une fois entré il tombe au sol et s’endort.
Quand il revient à lui, l’endroit est toujours plongé dans la pénombre. Mais quand le clair de lune amène un semblant de lueur dans la cabane, l’espion est saisi de terreur. Il aperçoit les yeux. Ces yeux qui l’ont toujours terrifié dans ses cauchemars. Ils sont là, à l’observer. Leur disposition est bien trop étrange pour correspondre à un corps humain. C’est comme s’il y avait une nuée d’yeux flottant dans la nuit. Et ils approchent… L’espion est alors terrorisé. Pris de panique il sort de la cabane et appelle à l’aide, conscient d’être suivi par ces yeux étranges. Des gendarmes qui aient par là écoutent ses appels…
Ne cachons pas ce qu’une partie des fans aura remarqué d’emblée, suite à la description de cet « homme aux mille visages ». Il est, à peu de choses près, identique au Chameleon (ou, en VF, le Caméléon, un autre as du déguisement) que le même Steve Ditko créera ou co-créera en 1963 dans les pages d’Amazing Spider-Man #1. Enfin… pour être honnête le Chameleon tel qu’il apparait dans le premier épisode fait usage de masques similaires (tout en travaillant lui aussi pour le bloc de l’Est) et est
Steve Ditko aurait-il simplement transposé une de ses créations de Charlton pour l’exploiter dans une forme très similaire chez Marvel ? Le Chameleon ne serait-il qu’une redite de l’Homme aux 1000 visages ? Il est permis de le penser mais en prenant toutefois quelques précautions : D’abord on ne sait pas formellement qui était le scénariste qui inventé l’histoire d’Out of This World. Sans doute Ditko est-il au moins en partie responsable du synopsis mais on ne sait pas qui a rédigé le récit. A partir de là il est difficile d’établir la répartition des postes et de savoir si la présence de l’Homme aux 1000 visages est bien un élément apporté par Ditko ou bien quelque chose suggéré par le scénario. Divers indices tendent cependant à montrer que l’Homme aux 1000 visages est bien une créature de Ditko. D’abord, il y a le fait déjà évoqué que l’usage de masques n’est absolument pas nécessaire au bon déroulement de l’histoire et ressemble donc à un élément ajouté. Le dessin s’intéresse aux masques de l’espion là où le scénario, lui, n’en fait que très peu usage dans l’histoire. Qui plus est la scénographie correspond à plusieurs autres histoires où Ditko fait également usage de masques.
[Xavier Fournier]
[1] On peut ainsi citer Beware the Creeper #2 (1968). Dans cette histoire (rédigée par Denny O’Neil et dessinée par Ditko), le Creeper affronte un assassin nommé Morpheus qui peut prendre n’importe quelle apparence et dont le masque intermédiaire est un visage sans trait qui rappelle… celui du Chameleon (ou plutôt, vous l’aurez compris, l’absence de visage de ce dernier).
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